Le projet exégétique et la «Règle du Culte»
L'appel à la Tradition était en réalité un appel à la conscience de l'Eglise. On posait en principe que l'Eglise avait la connaissance et la compréhension de la Vérité, du sens et de la vérité de la Révélation. En conséquence, l'Eglise avait la compétence et l'autorité aussi bien pour proclamer l'Evangile que pour l'interpréter. Ceci ne signifie pas que l'Eglise était «au-dessus» de l'Ecriture. Elle allait de pair avec l'Ecriture, mais par ailleurs, elle n'était pas liée par sa «lettre». Le propos ultime de l'exégèse et de l'interprétation était d'expliciter le sens et l'intention de la Sainte Ecriture, ou plutôt, le sens de la Révélation, de l'histoire du salut (Heilsgeschichte). L'Eglise, elle, devait prêcher le Christ, et pas simplement «l'Ecriture».
L'usage de la Tradition dans l'Eglise Ancienne ne peut se comprendre correctement que dans le contexte de l'usage effectif que l'on faisait de l'Ecriture. La Parole était gardée vivante dans l'Eglise. Elle se reflétait dans sa vie et sa structure. Foi et Vie étaient organiquement liées. Il est à propos de rappeler ici le passage fameux du Indiculus de gratia Dei, attribué par erreur au Pape Célestin et dont le véritable auteur est Prosper d'Aquitaine : «Tels sont les inviolables décrets du Saint Siège Apostolique, par lesquels nos saints Pères ont mis à mort l'innovation funeste... Considérons les prières sacrées que nos prêtres, conformément à la tradition des Apôtres, offrent uniformément dans chaque église catholique à travers le monde entier. Que la règle du culte établisse la règle de la foi». Il est vrai, bien sûr, que cette phrase, prise dans son contexte immédiat, ne formule pas quelque principe général, mais se limite, dans son intention première, au cas particulier du baptême des enfants conçu comme un exemple montrant la réalité d'un péché originel ou hérité. Certes, cette formule n'est pas la proclamation autorisée d'un Pape, mais l'opinion personnelle d'un théologien privé, exprimée au cours d'une controverse brûlante [38]. Cependant, cette petite phrase n'a pas été ôtée de son contexte ni n'a subi de modification dans l'ordre des mots par simple accident ou défaut de compréhension quand elle exprime le principe : Ut legem credendi statuat lex orandi, «Que la loi d'adoration établisse la loi de créance». La «Foi» trouva sa première expression précisément dans les rites et formules des liturgies et des sacrements : le Credo même apparut en premier lieu comme partie intégrante du rite de l'initiation chrétienne. «Les résumés et symboles de la foi, qu'ils soient sous forme de déclaration et par questions et réponses, sont des productions secondaires de la liturgie, dont ils reflètent la fixité ou la plasticité», dit J.N.D. Kelly [39].
Ce fut la «liturgie», prise au sens le plus large, qui la première et dès l'origine, fixa la Tradition de l'Eglise, et l'argument tiré de la lex orandi [Règle du culte] fut constamment utilisé dans les discussions, dès la fin du Second siècle. Le culte de l'Eglise était une proclamation solennelle de sa Foi. L'invocation baptismale du Nom fut probablement la plus ancienne des formules trinitaires, et l'Eucharistie fut le premier témoignage du mystère de la Rédemption, dans toute sa plénitude. Le Nouveau Testament lui-même vit le jour, comme «Ecriture», dans l'Eglise priante. Et la première lecture de l'Ecriture se fit dans le contexte du culte et de la méditation.
[38] Voir Dom M. Capuyns, «L'origine des Capitula Pseudo-Célestiniens contre les Semipélagiens», Revue Bénédictine, t. 41, 1929, p. 156-170 ; surtout Karl Federer, Liturgie und Glaube, Eine theologiegeschichtliche Untersuchung, Freiburg in der Schweiz 1950 (= Paradosis 4) ; Dom B. Capelle, «Autorité de la liturgie chez les Pères», Recherches de Théologie ancienne et médiévale, t. 21, 1954, p. 5-22.
[39] J.N.D. Kelly, Early Christian Creeds, London 1950, p. 167.
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