CROIX ET REDEMPTION
Nécessité de la Passion salutaire du Dieu-Homme
Tous les sentiments et toutes les attitudes du Dieu-Homme, le Christ, sont divinement infinis, bien qu'humainement réels.
Même leur infinité est divino-humaine, et même leur réalité est divino-humaine, car ils surpassent incommensurablement tout ce qui est humain.
Mais la Passion du Dieu-Homme représente pour l'esprit de l'homme un mystère exceptionnellement énigmatique et troublant, car toutes les infinités du Dieu-Homme y sont présentes, tristement réelles et tendrement salutaires pour toute la Création. Tout ce qui appartient au Dieu-Homme est merveilleux et salutaire, car le Sauveur -Jésus- est totalement présent en chacun de ses sentiments, en chacune de ses attitudes, en chacun de ses actes, en chacune de ses paroles.
Cela vaut particulièrement pour sa Passion, car c'est l'ensemble le plus complexe et le plus profond de sentiments du Dieu-Homme, dans lequel le Sauveur est présent dans toute la plénitude de sa Personne divino-humaine. Mais, bien qu'humainement réelle, la Passion du Dieu-Homme est divine - bien plus que la raison humaine ne saurait le concevoir. La raison analytique des hommes est incapable de pénétrer jusqu'au fond de la structure interne de la souffrance du Dieu-Homme, et d'en saisir pleinement la valeur axiologique, car en son essence mystérieuse, elle s'imprime en des infinités divino-humaines que l'esprit humain ne peut scruter.
La Passion du Sauveur, dans sa simple, mais inéluctable réalité évangélique, apparaît par cela-même comme un besoin divino-humain et une nécessité divino-humaine de l'économie du salut du monde. La logique humaine peut s'élever contre, mais la logique divino-humaine du Sauveur est tout entière ici. Le Seigneur Christ n'a rien soutenu ni rien souligné aussi résolument que le besoin et la nécessité de sa souffrance. Dès que ses divins disciples eurent découvert en Lui le Fils de Dieu, par la Révélation de Dieu, il les emmena aussitôt dans le grand mystère de la souffrance qui Lui est destinée. «Jésus commença dès lors à montrer à ses disciples qu'il lui fallait partir pour Jérusalem pour y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et ressusciter le troisième jour» ( Matt. 16, 21 ; Marc 8, 31 ; Luc 9, 22 ; 17, 25 ; 13, 33 ; 24, 7 ; Marc 9, 12).
Quelle fut la détermination avec laquelle le Sauveur a parlé du caractère nécessaire et indispensable de sa Passion pour le salut du monde, c'est ce qu'on peut voir en particulier aux mots par lesquels l'évangéliste Marc accompagne cette déclaration du Sauveur : «Il en parlait ouvertement» (Marc 8, 32). Mais bien que le Sauveur ait parlé avec détermination et avec clarté, sur la nécessité de sa Passion, l'esprit humain ne peut saisir, ni se réconcilier avec la souffrance du très-juste, du très-doux Fils de Dieu, qui est sans péché. Même le plus grand des Apôtres s'est scandalisé de ce suprême mystère. L'Evangéliste écrit : «Pierre le prit à part et se mit à lui faire des reproches : A Dieu ne plaise, Seigneur! Cela ne t'arrivera pas !» (Matt. 16, 22 ; cf. Marc 8, 32). Ce qui arriva alors démontre de la façon la plus évidente que la logique humaine, dans ses limites, ne peut comprendre le caractère nécessaire et inéluctable de la Passion du Dieu-Homme dans son œuvre de salut du monde. L'Evangéliste continue : «Mais Jésus se retourna et dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» (Matt. 16, 23 ; cf. Marc. 8, 33).
Cette réponse du Seigneur constitue la défense la plus explicite du caractère nécessaire de la Passion du Dieu-Homme pour le salut des hommes. Cela se voit en particulier à ce que le très-doux Seigneur appelle "Satan" le disciple que peu avant il avait appelé "bienheureux", parce que le Père des cieux l'avait rendu digne de lui révéler le mystère de la Personne du Dieu-Homme (Matt. 16, 16-17). Il est satanique de désirer et de vouloir que le Dieu-Homme sauve le monde sans souffrance. Il n'est pas d'erreur plus pernicieuse pour l'esprit humain que celle qui consiste à croire qu'il n'est pas nécessaire, qu'il est absurde que le Seigneur Christ doive souffrir. Il est satanique de tenter de détourner le Dieu-Homme de sa Passion, car ce serait le détourner de la Croix et de la Résurrection, et c'est là le centre du salut. Si le Sauveur n'avait pas souffert, s'il n'était pas mort, le plus douloureux problème de la vie humaine, celui de la souffrance et de la mort, n'aurait pas été résolu, le plus lourd de nos tourments n'aurait pas été allégé, et le plus grave de nos maux n'aurait pas été anéanti. La conscience humaine n'est pas en état de justifier, jusqu'à ses dernières conséquences, l'existence de la souffrance et de la mort en ce monde. Subsiste toujours cette troublante et redoutable réalité dont la pensée humaine ne peut trouver la véritable signification. On ne peut en trouver la signification que lorsque la souffrance et la mort deviennent celles de Dieu, lorsque le Dieu-Homme y est passé.
Sauver le monde du péché, du mal et de la mort, est une œuvre si complexe que seul Dieu peut savoir ce qui y contribue. Que la souffrance et la mort du Dieu-Homme constituent des contributions indispensables à son exploit du salut du monde, et le but incontestable du dessein divino-humain de Dieu sur le monde, c'est ce qu'affirme la parole catégorique du Sauveur à l'apôtre Pierre : «Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» (Matt. 16, 22). Il convient à Dieu, il fait partie de la providence divine que le Dieu-Homme souffre et meure pour le salut du monde ; il est de l'homme, il est du diable, d'exclure la souffrance et la mort de l'exploit divino-humain du salut du monde, de les considérer comme quelque chose que le Sauveur devrait éviter. Si le plus grand des Apôtres, dit saint Jean Chrysostome, avant d'avoir tout clairement saisi, est appelé Satan pour avoir eu honte de la Croix, quelle excuse pourront trouver ceux qui, après de telles évidences, rejettent l'économie du salut ? Car si un tel reproche peut être adressé à celui qui avait été déclaré bienheureux pour avoir confessé la Divinité du Christ, alors songe au reproche qu'endureront ceux qui maintenant encore rejettent le mystère de la Croix ! Le Seigneur Christ n'a pas dit : «Satan parle par ta bouche», mais : «Arrière de moi, Satan !» Car c'est justement cela que l'ennemi désirait, que le Christ ne souffrît point, et c'est pour cela qu'il réprimanda Pierre si fort, car il savait que c'était cela que Pierre et les autres craignaient le plus et qu'ils ne pouvaient en entendre parler sans inquiétude. C'est pour cela que le Seigneur révéla leurs pensées secrètes en disant : «Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» (Matt. 16, 23). Pierre, jugeant les choses d'une pensée humaine et terrestre, pensait que la souffrance était chose indigne et inconvenante pour le Christ. Mais le Christ, pénétrant ses pensées, déclara : «Pour moi, la souffrance n'est pas chose inconvenante, c'est d'un point de vue sensible que tu en juges ainsi ; mais si tu écoutes mes paroles selon Dieu, en te libérant de ce point de vue sensible, alors tu comprendras que les souffrances me conviennent parfaitement. Tu considères qu'il est indigne que je souffre ; et moi je te dis que la pensée que je ne doive point souffrir vient du diable» (Homélie sur Matthieu 54, 4 ; PG 58, 536-537).
A ce sujet, le bienheureux Théodoret s'exprime ainsi : «Après que les disciples eurent confessé qu'il était vraiment le Christ, le Seigneur leur a révélé aussi le mystère de la Croix, mais incomplètement, puisqu'ils n'ont pas compris ses paroles ni saisi ce que signifiait ressusciter, mais ils ont pensé qu'il vaudrait mieux qu'il ne souffrît point. C'est pourquoi Pierre commença à protester en disant qu'il avait tort de se livrer à la mort alors qu'il pouvait ne pas souffrir. Mais le Sauveur, montrant que cette souffrance serait pour le salut et que seul Satan pouvait désirer qu'il ne souffrît point et qu'il ne sauvât point, appelle Pierre "Satan" à cause de ses pensées, propres à Satan, puisqu'il n'avait pas désiré que le Christ souffrît mais qu'il s'y était opposé... Pierre pensait, selon les paroles du Seigneur, ce qui est selon les hommes, en imaginant ce qui est vil et charnel et désirait que le Seigneur restât en paix, qu'il ne se livrât point à la crucifixion et qu'il ne souffrît point de malheur pour le salut du monde» (Enarratio in Evang. Marci, 8, 31-33 ; PG 123, 576 AB).
Le Dieu-Homme a choisi la mort sur la Croix comme nécessaire et inévitable à l'économie du salut de la race humaine (Philothée, Sur l'exaltation de la Croix 5 ; PG 154, 724 B). Ce mystère réside dans les profondeurs insondables de l'éternelle sagesse divine. La Passion sur la Croix du Dieu-Homme est devenue, selon le dessein de l'amour de Dieu pour les hommes, le moyen par lequel le Dieu-Homme offre aux hommes la vie éternelle. C'est ce que le Sauveur mit en évidence lorsqu'il disait : «De même que Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l'homme soit élevé, afin que quiconque croit en Lui ait la vie éternelle» (Jean 3, 14-15 ; cf. 8, 28 ; 12, 32-33).
Le Dieu-Homme a souffert selon l'insondable sagesse de la volonté divine et selon la providence salutaire de Dieu [1]. C'est cela le calice que le Père des cieux présente à son divin Fils - le Dieu-Homme, le Christ : «Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée ?» (Jean 18, 11). Le Fils de Dieu incarné se livre volontairement et librement à sa passion salutaire. Il remet Lui-même son âme : «Personne ne me l'ôte, mais je la donne de moi-même ; j'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre [2]». Le Christ n'aurait jamais souffert s'il ne l'avait voulu ; aussi est-ce seulement de sa propre volonté qu'il a été soumis à la mort. Il avait encore le droit de reprendre son âme ; comme il nous l'a dit, il avait reçu de son Père ce commandement de mourir pour le monde. Je ne suis pas l'ennemi de Dieu, dit-il, et à tel point que cette mort m'a été donnée en commandement. Après que le Sauveur eût dit préalablement à son sujet : «J'ai le pouvoir de la reprendre» (et par là il montre bien qu'il est le Seigneur de la vie et de la mort), il ajoute cet élément de paix : «tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père». Il unit ainsi l'un et l'autre d'une manière extraordinaire, afin que nous ne puissions pas le considérer comme inférieur au Père, ni comme un serviteur du Père, ni un ennemi de Dieu, mais comme n'ayant qu'une puissance et qu'une volonté avec le Père [3].
[1] Actes 2, 23 ; 4, 26-28 ; cf Nb 21, 8, 9 = Jean, 3, 14 ; 12, 32-33 ; 1 Pi. 1, 20 ; Apo. 13, 8.
[2] Jean 10, 18 ; cf. Is. 53, 12 ; Matt. 20, 28 ; 26, 53 ; Gal. 1, 4 ; 2, 20 ; Eph. 5, 2 ; Phil. 2, 8 ; 1 Tim. 2, 6 ; Héb. 9, 14.
[3] Bienheureux Théophylacte, Commentaire de l'Evangile de Jean 10, 17-21 (PG 124, 76 CD). Cf. Saint Jean Chrysostome, Pour la mémoire des Martyrs 1 (PG 52, 827) : «En disant : Je suis le Bon Pasteur, qui donne son âme pour ses brebis (Jean 10, 11), le Sauveur a proclamé son amour de l'homme et manifesté sa puissance. Souffrir pour ses brebis est la vérité de l'amour de l'homme ; mais le fait qu'il a offert Lui-même son âme, de sa propre volonté, est une preuve de sa puissance. En effet, il ne souffre pas de contrainte, mais il œuvre pour l'économie. Bien que l'Apôtre dise aussi que le Père a livré son Fils pour nous tous (Rom. 8, 32), il représente la Passion du Fils comme non nécessaire, en montrant par là que la volonté du Fils se trouve en accord avec celle du Père. Le Fils se livre Lui-même, non pas en se soumettant à la nécessité, mais en collaborant aux intentions du Père. Une chose est d'obéir en esclave, et une autre de collaborer divinement».
En disant qu'il a reçu du Père le commandement de mourir pour le monde, le Seigneur Jésus exprime seulement que ce qu'il fait est conforme à la volonté du Père, afin que nous ne puissions pas penser, lorsqu'on le tue, qu'on le tue parce que le Père l'a abandonné [4]. Si le Sauveur appelle "commandement" cette mort volontaire, c'est également pour nous montrer de quelle importance elle est pour le salut du monde. S'il y a là quelque chose d'inévitable, c'est l'amour de Dieu, qui s'est exprimé symboliquement par les Prophètes de l'Ancien Testament, ces hérauts inspirés des volontés divines. Tout l'Ancien Testament prophétise, proclame et montre que la mort du Messie est nécessaire et inévitable pour l'œuvre de salut de la race humaine. Elle est si nécessaire et si inévitable que le Sauveur traite d'insensés ses disciples qui ne le croient pas et qui ne le comprennent pas : «O hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses pour qu'il entrât dans sa gloire !» (Luc 24, 25-26 ; cf. 22, 37 ; Actes 17, 3 ; 20, 23).
A l'instant de sa Transfiguration sur le Thabor, alors qu'il montrait de la manière la plus évidente sa Divinité et sa gloire divine, le Seigneur Christ parlait avec Moïse et Elie de la Passion salutaire qu'il devait subir à Jérusalem (Luc 9, 31). Le Seigneur témoignait ainsi de manière irréfutable que le mystère de sa Passion pour le salut des hommes est inséparable du mystère de sa Personne divino-humaine. De quelque côté que se présente ce mystère, il est entouré d'un abîme impénétrable. Qu'en tant que Dieu-Homme, le Christ «doive» (deî) est si infini, si insondable, que la raison humaine ne peut le comprendre, ni l'évaluer à aucune mesure humaine. Au centre se trouve un mystère qui s'élève au-dessus de tous les sommets de la pensée humaine, qui s'enfonce dans les abîmes insondables de la très-sage providence divine. De l'Evangile nous n'apprenons que ceci : la Passion du Dieu-Homme était indispensable au salut de la race humaine, affaiblie par le péché et par la mort, pour sa guérison et le rétablissement de sa santé. Montant vers sa Passion pour le salut du monde, le Dieu-Homme, le Christ, conduit toute sa vie terrestre vers ce sommet : «Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure !» (Jean 12, 27).
Tous les chemins de la vie divino-humaine du Sauveur sur terre conduisent à sa Passion sur la Croix à Jérusalem. Le Sauveur en souligna l'importance et la signification pour ses disciples après sa Transfiguration, après qu'il leur eût montré sa gloire divine. Il désirait attirer toute leur attention sur tout cela (Matt. 17, 22-23) et il les conduisait seulement vers ce mystère : «Voici, nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes. Ils Le condamneront à mort et ils Le livreront aux païens pour qu'ils se moquent de Lui, Le battent de verges et Le crucifient ; et le troisième jour Il ressuscitera» (Matt. 20, 17-19 ; cf. Marc 9, 31).
Un effroi sacré saisit les disciples voyant le très doux Sauveur se hâter vers Jérusalem. «Ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Les disciples étaient troublés et le suivaient avec crainte. Et Jésus prit de nouveau les douze auprès de Lui et commença à leur dire ce qui devait Lui arriver : Voici, nous montons à Jérusalem et le Fils de l'homme sera livré... et ils Le condamneront à mort, et ils Le livreront aux païens qui se moqueront de Lui, cracheront sur Lui, Le battront de verges et Le feront mourir ; et trois jours après Il ressuscitera» (Marc 10,32-34 ; cf. Luc 18, 31-33). -Mais tout cela, lorsqu'on le considère avec la logique d'un homme qui n'est pas né à nouveau, semble irraisonnable, incompréhensible et inutile. C'est pourquoi le saint Evangéliste dit encore des disciples du Sauveur : «Mais ils ne comprirent rien à cela, c'était pour eux un langage caché, des mots dont ils ne saisissaient pas le sens» (Luc 18, 34).
Plus encore, le mystère de la Passion du Dieu-Homme se cache dans les desseins divins d'avant le monde. Il commence avant la fondation du monde, se cachant dans les abîmes de la sagesse et de l'amour de Dieu -abîmes inaccessibles à la pensée de l'homme. Selon les desseins ineffables de la Divinité trinitaire, le salut du monde devait s'achever par la Passion et la mort du Dieu-Homme, du Christ, et c'est pour cette raison qu'il est parlé de Lui comme d'un agneau innocent et sans tache, «prédestiné avant la fondation du monde» (1 Pi. 1, 19), mais aussi «immolé dès la fondation du monde» (Apo. 13, 8).
[4] Saint Jean Chrysostome, Homélie sur saint Jean 60, 2 ; PG 59, 331.
La Passion salutaire du Seigneur Christ commence dès sa naissance en ce monde et s'étend jusqu'à Sa mort sur la Croix entre les deux brigands. Le Dieu-Homme tout-puissant et sans-péché est né dans une grotte (Luc 2, 7) -n'était-ce pas une souffrance ? La vie de l'enfant-Dieu est placée depuis le début sous la menace du cruel Hérode, qui cherche à le tuer (Matt. 2, 13-14). Le Dieu incarné peine et travaille comme un artisan ordinaire -comme un menuisier (Marc 6, 3)- n'était-ce pas une souffrance ? Ce merveilleux Souverain des cieux et des cieux d'au-dessus les cieux vit sur terre comme un misérable (Luc 8, 2-3; cf. 2 Cor. 8, 9), il vagabonde par le monde comme un sans-abri qui n'a pas où poser sa tête (Matt. 8, 20; Luc 9, 58; 21, 37). Il souffre la faim et il est tenté (Matt. 4, 1-11; Marc 1, 13; Luc 4, 2-13; Héb. 2, 18; 4, 15). Il a faim (Matthieu 21, 18; Marc 11, 12), il a soif (Jean 4, 7; 19, 28), il est fatigué (Jean 4, 6). On l'insulte sans retenue en disant que c'est avec l'aide du prince des démons qu'il chasse les démons (Matt. 9, 34; cf. 12, 24; Marc 3, 22; Luc 11, 15) ; on l'appelle Béelzébul (Matt. 10, 25), on l'accuse d'être mangeur et buveur (Matt. 11, 19; Luc 7, 34) ; on assure qu'il est un diable (Jean 8,48; 7, 20; 10, 20), qu'il est fou (Jean 10, 20) ! Lui, qui est seul sans péché, supporte d'horribles outrages de la part des pécheurs, et l'infamie (Héb. 12, 3; Luc 23, 11). Sa vie est constamment dans le danger à cause des Juifs [5] ; Lui, l'amour de l'homme incarné, le monde le hait et le persécute (Jean 15, 18-20). Il succombe à cause des Juifs infidèles et de leur aveuglement spirituel (Matt. 23, 3), et il en pleure (Luc 19, 41-44). Il pleure la mort de Lazare (Jean 11, 33-35). Ses souffrances d'avant la mort sont émouvantes et bouleversantes [6]. Comme un tendre agneau innocent, il porte sur lui les péchés du monde et il souffre [7]. Il se sent tristement délaissé de Dieu dans ses souffrances (Matt. 27, 46; Marc 15, 34; Ps. 21, 2). Il souffre beaucoup de ce qu'un disciple le trahit et le vend [8].
Etait-ce trop peu de souffrance pour le Dieu-Homme lorsque les hommes, aveuglés par la haine de Dieu, se levèrent contre Lui comme contre un brigand, armés d'épées et de bâtons [9] et le lièrent (Jean 18, 3-12) ? Quel tourment n'a pas dû souffrir le tendre cœur du Seigneur affligé, lorsque le plus grand des Apôtres Le renia résolument par trois fois, lui qui avait juré avec insistance qu'il ne Le renierait jamais [10] ? Le cœur divin du Seigneur Jésus ne fut-il pas déchiré de douleur lorsque ses disciples l'abandonnèrent et se dispersèrent (Matt. 26, 56 ; Marc 14, 50 ; Jean 16, 32) ? Beaucoup de souffrances envahirent l'âme du Sauveur lorsque les Grands Prêtres et les Anciens dépensèrent et violèrent leur conscience pour trouver de faux témoins qui témoignèrent faussement contre Lui (Matt. 26, 59-62 ; Marc 14, 55-60 ; Luc 23, 10).
Etait-ce trop peu de souffrance pour le Dieu-Homme tendre et innocent lorsqu'on le fouetta et qu'on le frappa (Matt. 27, 26 ; Marc 15, 15 ; Luc 23, 22), lorsqu'on lui plaça sur la tête une couronne d'épines (Matt. 27, 29 ; Marc 15, 17 ; Jean 19, 2), lorsqu'on le railla et qu'on le bafoua (Matt. 27, 29 ; Marc 15, 18 ; Luc 22, 63-65), lorsqu'on le couvrit de crachats et de soufflets (Matt. 27, 30 ; Marc 15, 19 ; Luc 22, 64 ; Jean 19, 3 ; 18, 22), lorsqu'on le contraignit, lui épuisé, à porter une lourde Croix (Matt. 27, 32 ; Marc 15, 21 ; Luc 23, 26), lorsqu'on le cloua à la Croix (Matt. 27, 35 ; Marc 15, 24 ; Luc 23, 33 ; Jean 19, 18), lorsqu'on le dressa entre deux brigands (Matt. 27, 38 ; Marc 15, 27-28 ; Luc 23, 33 ; Jean 19, 18), lorsqu'on lui donna, alors qu'il avait soif, du vinaigre mélangé de fiel (Matt. 27, 34 et 48 ; Marc 15, 23 et 36 ; Luc 23, 36 ; Jean 19, 28-30) ; lorsque les Grands Prêtres, les scribes, les Anciens du peuple et les soldats le raillèrent et l'injurièrent, alors qu'il était fixé sur la Croix (Matt. 27, 39-43 ; Marc 15, 29-32 ; Luc 23, 35-39), lorsqu'il rendit l'âme en un cri de mort (Matt. 27, 50 ; Marc 15, 37 ; Luc 23, 46 ; Jean 19, 30) ?
Toute la vie du Sauveur sur la terre représente un unique exploit continuel de souffrance pour le salut du monde. Le Dieu-Homme ne pouvait pas ne pas souffrir continuellement alors que continuellement, devant ses yeux qui voient tout, il avait tous les péchés, tous les vices, toutes les méchancetés, de tous ses contemporains -comme ceux de tous les hommes de tous les temps. Sans aucun doute, ce dut être vraiment une pénible souffrance, pour qu'on n'ait jamais vu rire le Seigneur Christ, et qu'on l'ait si souvent vu pleurer. Souvent il arrivait, dit saint Jean Chrysostome au sujet du Sauveur, qu'on l'ait vu pleurer, mais jamais on ne l'a vu rire, ni même sourire paisiblement. C'est pourquoi aucun des Evangélistes ne le mentionne (Homélie sur Matthieu, 6, 6 ; PG 57, 69).
Toutes les souffrances de notre Seigneur Jésus, en qui il n'est pas de méchanceté, atteignent leur terrible mais salutaire sommet dans sa mort sur la Croix. C'est pourquoi il se hâte de tout son être vers elle comme vers l'accomplissement du salut du monde : «C'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure» (Jean 12, 27), que je suis venu pour souffrir en ce monde pour le salut du monde : «Je suis venu jusqu'à cette heure pour recevoir la mort pour tous [11]».
[5] Luc 4, 28-30 ; 13, 31 ; 20, 19-20 ; Jean 7, 1 et 9 ; 11, 33-39 ; 10, 31-33, 39 ; 11, 53-54.
[6] Matt. 26, 37-45 ; Marc 14, 32-41 ; Luc 23, 39-46 ; Héb. 5, 7.
[7] 1 Pi. 2, 21-24 ; Héb. 5-7 ; Is. 53, 6, 8.
[8] Matt. 26, 21, 46-50 ; Marc 14, 18-21, 42-45 ; Luc 22, 21-22, 47-48 ; Jean 13, 21 ; 18, 1-5.
[9] Matt. 26, 47,55 ; Marc 14, 43-49 ; Luc 22, 47-54.
[10] Matt. 26, 69-75, 33-35 ; Marc 14, 29-31 ; 66-72 ; Luc 22, 34, 55-62 ; Jean 13, 33 ; 18, 25-27.
[11] Bienheureux Théophylacte, Commentaire sur l'Evangile de Jean, 12, 27 ; PG 124, 128 D.
Tout ce qui constitue la vie divino-humaine du Seigneur Christ sur la terre constitue aussi son économie du salut du monde. La mort du Sauveur sur la Croix porte à son comble son immense amour pour l'homme et sa souffrance pour l'homme ; c'est pourquoi la Croix représente le sommet de l'exploit divino-humain du salut du monde. La mort du Dieu-Homme sur la Croix est en même temps le rachat du monde, le salut du monde et la victoire sur le péché, sur la mort et sur le diable. La Croix est la synthèse de tout cela : et du rachat, et du salut, et de la victoire. Ce sont seulement trois aspects d'un seul et même exploit divino-humain, entier et indivisible. Il n'est pas possible de diviser en parties l'œuvre unique et indivisible du salut, accompli par l'unique et indivisible Sauveur. Dans cette œuvre, tout est infiniment important, mais le sommet de tout est la mort du Sauveur sur la Croix. C'est ce que le Seigneur Lui-même souligne, lorsqu'il dit : «C'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure» (Jean 12, 27).
Si l'on me demande, déclare très sagement saint Jean Chrysostome, ce que le Christ a fait d'extraordinaire, je passerai le ciel, la terre, la mer et la résurrection de nombreux morts, et les autres miracles qu'il a faits, pour retenir seulement la Croix, qui est plus glorieuse que tout le reste[12]. Chaque œuvre, chaque miracle du Christ est très grand, et divin, et merveilleux, mais sa vénérable Croix est plus admirable que tout [13].
Tout ce qui fait partie de l'exploit du salut de la race humaine, le Seigneur Christ l'a fait parce qu'il est l'indivisible Dieu-Homme, le Sauveur et le Rédempteur. Cela vaut aussi pour sa mort sur la Croix. C'est pourquoi elle a aussi une signification sotériologique aussi infinie. C'est de cela que parle le Seigneur Christ Lui-même, et après Lui et avec Lui ses saints Apôtres, les saints Pères et toute la conscience conciliaire et la connaissance conciliaire de l'Eglise orthodoxe, une, sainte, catholique et apostolique. La mort sur la Croix du Dieu-Homme, le Christ, représente le mystère le plus merveilleux et le plus grandiose dans tous les mondes, pour autant que la pensée humaine puisse penser à ces mondes. Enraciné en son essence invisible et inexplorée, prééternelle et supra-temporelle et dans les profondeurs insondables de la Providence divine, le mystère de la mort du Sauveur sur la Croix descend jusque dans notre monde tri-dimensionnel, spatio-temporel, pour l'irriguer de son émouvant mystère divin. La conscience humaine peut à peine saisir quelque chose de ce mystère, et la connaissance humaine peut à peine en embrasser si peu que ce soit, tandis que le reste s'enfonce et s'évanouit dans les profondeurs abyssales de l'omniscience de Dieu et dans le silence des paroles divines.
A travers toutes ses souffrances divino-humaines, le Seigneur Christ conduit la nature humaine à être sauvée du péché, du mal et de la mort. En représentant de l'humanité tout entière -car il est véritablement et Dieu et Homme, véritablement Dieu-Homme- il a livré tous les combats, il a subi tous les tourments pour le salut de la race humaine tout entière. En réalité, il a essentiellement souffert toutes les souffrances humaines et subi tous les tourments humains. Il a particulièrement expérimenté ce maximum de la souffrance à Gethsémani et sur le Golgotha. Et jusqu'à Gethsémani, mais surtout à Gethsémani, le Seigneur, l'Ami de l'homme, a vécu tous les tourments de la nature humaine, qui se sont accumulés sur Lui à cause de notre péché ; il a souffert toutes les souffrances qu'a souffertes la nature humaine depuis Adam jusqu'à son ultime descendant ; il a éprouvé toutes les maladies humaines comme siennes, il s'est attristé de toutes les tristesses humaines comme des siennes, il a vécu tous les malheurs de l'humanité comme les siens et, en même temps, il a eu présents devant ses yeux si pénétrants tout ces milliards d'êtres humains qui souffrent à cause du péché dans les angoisses de la mort, de la maladie et du vice. C'est pourquoi il s'est écrié avec accablement : «Mon âme est triste jusqu'à la mort» (Matt. 26, 38).
Dans son amour infini pour l'homme, le Seigneur très miséricordieux a traversé pour nous et à notre place tous les tourments et toutes les tristesses qui ont ravagé la nature humaine depuis sa chute dans le péché et dans la mort. En les traversant pour tous les hommes et à leur place, il a pleuré et il s'est attristé sur les péchés du monde entier, il a prié jusqu'à en transpirer du sang (Luc 22, 44). Tout cela, il ne l'a pas fait pour lui-même (Luc 23, 27-38), mais pour la race humaine, dont il avait volontairement pris sur Lui les péchés, les souffrances et la mort. Toutes les souffrances, toutes les morts, tous les châtiments qui se sont accumulés sur la race humaine, le Dieu-Homme les a pris sur lui par compassion, avec toutes les horribles conséquences qui en découlent pour la nature humaine, à travers d'innombrables tourments, d'innombrables maladies et d'innombrables tristesses. L'immensité du péché humain, avec tout ce qui l'accompagne : maladies, malheurs, tristesses, morts, tourments passagers et éternels, ont brisé le cœur compatissant de Jésus, et se sont présentés devant ses yeux comme un calice d'amertume, soulignant la tragique responsabilité de la race humaine devant Dieu. En Lui, le véritable Dieu-Homme, c'est toute la nature humaine qui pleurait et se lamentait, voyant tout ce qu'elle avait provoqué en tombant dans le péché et dans la mort. A notre place à nous tous et pour nous tous, elle s'effrayait de tous ses péchés et de toutes ses chutes. Et comme si tout cela se rassemblait en un unique calice d'amertume : «Mon Père ! S'il est possible, que ce calice passe loin de moi !» (Matt. 26, 30).
Cela veut dire que dans le Seigneur Christ la nature humaine est tout juste arrivée à une pleine conscience de l'horreur infernale du péché et de la mort. Jusque là, elle vivait comme dans l'enthousiasme du péché, comme dans un délire, dans un demi-sommeil, dans l'ivresse du mal et de la passion. Pour qu'elle s'éveille, pour qu'elle se dégrise, et qu'elle se sauve du péché et de la mort, le Seigneur, l'Ami de l'homme, en homme véritable, possesseur de la véritable nature humaine, a volontairement passé par toutes les souffrances et par la mort, pour purifier et pour sanctifier la nature humaine du péché et de la mort. En outre, il a agi en Dieu véritable : voyant sa mort sur la Croix, il n'a pas faibli, il n'a pas pleuré, il a vécu toute la tragédie de la race humaine, il a volontairement souffert et il est véritablement entré dans la mort pour sauver la race humaine par sa passion et par sa mort divino-humaines sur la Croix. C'est pourquoi il a dit : «Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux» (Matt. 26, 39).
Ressentant tous les tourments de la vie humaine touchée par le péché et par la mort, le Seigneur Jésus, seul dans toute la race humaine, était pleinement conscient de l'immensité de notre chute et de notre désespoir sans issue. Aussi est-ce dans les larmes et avec un grand gémissement qu'il a prié à notre place à nous tous et pour nous tous son Père des cieux, obtenant de Lui par sa pitié que les hommes fussent sauvés du péché et de la mort. C'est ce que l'Apôtre exprime par ces mots : «Dans les jours de sa chair, ayant présenté avec de grands cris et des larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort, il a été exaucé à cause de sa piété» (Héb. 5, 7). Le Seigneur Jésus fut exaucé en ce qu'il Lui fut accordé, en tant que véritable Dieu-Homme, en tant que représentant authentique de toute la race humaine, de sauver la race humaine du péché et de la mort éternelle par sa Passion et par sa mort divino-humaines. Selon le témoignage de saint Jean Chrysostome, les mots de l'Apôtre : «Il fut exaucé à cause de sa piété» veulent indiquer l'exploit du Christ plutôt que la grâce de Dieu (Homélie sur Héb. 6, 2 ; PG 63, 70).
Seul Dieu pouvait faire passer la nature humaine de la mort éternelle à la vie éternelle, seul un homme pouvait faire sienne la vie éternelle ; c'est pourquoi seul le Dieu-Homme peut être et est notre Sauveur. Par sa Passion divino-humaine, le Seigneur a sanctifié les souffrances humaines, il les a adoucies et les a transformées en joie, et elles sont devenues la joie de ceux qui portent le Christ [14]. C'est pourquoi on dit du Seigneur Jésus non seulement qu'il a souffert pour nous, mais encore qu'il a souffert à notre place. Sa Passion a une signification salutaire et vivifiante pour toute l'humanité parce qu'elle est divino-humaine, et que par elle il fait passer la nature humaine de la servitude à la liberté, de la mort à la vie. Faire passer de la condition d'esclave à la liberté, être appelé enfant de Dieu, retrouver la vie alors qu'on était mort n'est possible à aucun autre qu'à Celui qui, jouissant de l'intimité de nature avec Dieu échappe à la condition servile. Car comment ferait-il entrer dans l'intimité de Dieu, celui qui y est étranger ? Comment celui qui est lui-même sous le joug de la servitude pourrait-il en libérer [15] ?
[12] Homélie sur le Prophète Isaïe, 28, 16.
[13] Saint Jean Damascène, De la Foi orthodoxe, 4, 11 ; PG 94, 1128 D.
[14] Voir Actes 5, 40-41 ; 1 Cor. 4, 12 ; Héb. 12, 5-13.
[15] Du Saint Esprit, 13, 29 ; PG 32, 117 D.
En tant que Dieu-Homme, le Sauveur a souffert en plénitude tous les tourments de l'esprit humain, qui a été éloigné de Dieu par le péché et les passions, qui a délaissé Dieu, et qui a donc été à son tour abandonné par Dieu. Comme homme, le Sauveur a ressenti le comble de cet abandon de l'homme par Dieu ; il l'en a guéri comme Dieu-Homme par son cri d'agonie : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?» (Marc 15, 34 ; Matt. 27, 46). Souffrir, pleurer, crier, sont le propre de la nature humaine et non de la nature divine, dit saint Athanase le Grand. Dans le Verbe incorporel, il n'y avait rien de ce qui est le propre du corps, tant qu'il n'avait pas assumé une chair soumise à la corruption et à la mort, car sainte Marie était mortelle, de laquelle il a pris chair. C'est justement parce qu'il était dans une chair soumise à la souffrance, aux larmes et à la peine, qu'il était indispensable de Lui attribuer en même temps qu'à la chair ce qui est le propre de la chair. Ainsi donc, même lorsqu'il pleurait et qu'il était bouleversé, ce n'était pas le Verbe en tant que Verbe qui pleurait et qui était bouleversé, c'était le propre de sa chair ; et lorsqu'il priait que le calice passât loin de Lui, ce n'était pas la Divinité qui pleurait, mais cette faiblesse aussi était le propre de son humanité. Et les paroles : «Pourquoi m'as-tu abandonné ?», l'Evangéliste les Lui attribue, bien qu'en tant que Verbe il n'ait aucunement souffert, et n'ait souffert tout cela et qu'il n'ait dit tout cela qu'en tant qu'homme afin d'alléger les souffrances de la chair et de l'en rendre libre. Mais lorsque nous méditons ces paroles du Sauveur : «Si cela est possible, que ce calice passe loin de moi» (Matt. 26, 39), il faut faire attention à ces mots qu'il avait dit à Pierre pour le reprendre en semblable occasion : «Tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais les pensées des hommes» (Matt. 16, 23). Il a prié que passât loin de Lui ce qu'il avait Lui-même désiré et ce pour quoi il était venu. Mais de même qu'il Lui était propre de le désirer, car c'est pour cela qu'il était venu, de même c'était le propre de la chair que de pleurer, et c'est pour cela qu'en tant qu'homme il a prononcé ces paroles. Ou bien encore il a dit et l'un et l'autre pour montrer que c'est Lui -Dieu- qui a voulu cela ; devenu homme, les larmes lui étaient devenues naturelles, et c'est pour cela qu'il a mélangé sa volonté avec la faiblesse humaine, afin qu'en anéantissant cette faiblesse, il rendît à nouveau l'homme intrépide devant la mort... Les bienheureux Apôtres eux aussi après sa mort, ont si bien méprisé la mort à cause de ces paroles, qu'ils ne faisaient pas attention aux juges, mais disaient : «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes» (Actes 5, 29). Les autres saints Martyrs aussi ont été si intrépides qu'il ne faut pas considérer qu'ils aient été livrés à la mort, mais qu'ils se sont offerts à la mort. Cela montre que ce n'est pas la Divinité qui a pleuré, mais que le Sauveur a effacé notre peur. Car de même que la mort est écrasée par la mort, de même notre peur a été effacée par une peur semblable, faisant que les hommes ne craignent plus la mort [16].
Ces paroles : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?», le Sauveur les a prononcées du point de vue de l'humanité, au nom de l'humanité et, pour mettre fin à la malédiction et incliner vers nous la face de son Père, il Le prie de jeter un regard sur nous, parce qu'il a assumé ce qui est nôtre ; car nous avons été rejetés et abandonnés à cause de la transgression d'Adam, et maintenant nous sommes acceptés et sauvés... L'humanité représentée en Christ prie pour être libérée de ses chutes et de ses péchés [17].
Puisque le Sauveur a assumé nos péchés et s'est attristé sur nous (Is. 53, 4), il est tout-à-fait naturel qu'il prie pour être délivré de la tentation, mais c'est au nom de la nature humaine qu'il prie [18].
Dieu le Verbe incarné a tout souffert, non pas pour Lui, mais pour nous, afin qu'ayant revêtu l'impassibilité et l'incorruptibilité par ses souffrances, nous demeurions dans la vie éternelle [19].
Ces mots pathétiques du Sauveur : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?» selon le témoignage de saint Grégoire le Théologien, ne signifient pas que ni le Père, ni sa Divinité l'aient abandonné, mais qu'il nous représente en sa Personne. Car c'est auparavant que nous étions abandonnés et méprisés ; mais maintenant nous sommes assumés et sauvés par la Passion de l'Impassible. C'est la même signification qu'ont ces paroles : «Il a appris l'obéissance par les choses qu'il a souffertes» (Héb. 5, 8), de même que ce qui est dit sur les larmes du Sauveur, son gémissement, sa prière, sa piété (Héb. 5, 7). Car ce n'est pas en tant que Verbe qu'il était Lui-même obéissant ou désobéissant, mais c'est en la forme d'esclave (Phil. 2, 7) qu'il descend vers ses compagnons d'esclavage, qu'il a assumé une forme étrangère, devenant l'homme tout entier et tout ce qui est humain, afin d'anéantir en Lui ce qui est mauvais en l'homme, comme le feu anéantit la cire ou le soleil la brume de la terre, et afin que l'homme, s'unissant à Lui, prenne part à ce qui est propre à Lui-même. C'est pourquoi il honore en acte l'obéissance et il l'éprouve dans la souffrance, car il ne lui suffit pas d'une disposition intérieure, de même qu'à nous non plus elle ne suffit pas, si nous ne passons pas aux actes, car l'acte est la preuve de la disposition [20].
Que voulait le Seigneur Christ lorsqu'il disait : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?», demande saint Cyrille d'Alexandrie, et il répond : Lorsque notre ancêtre Adam méprisa le commandement qui lui avait été donné, et négligea la loi de Dieu, la nature humaine fut en quelque sorte abandonnée de Dieu et elle devint pour cela maudite et soumise à la mort. Mais puisque le Fils unique et Verbe de Dieu vient ramener à l'incorruptibilité ce qui avait déchu, puisqu'il adopte la postérité d'Abraham et la considère comme des frères (Héb. 2, 16. 17), il fallait bien faire cesser, avec la malédiction antique et la corruption contractée, cet éloignement de Dieu où demeurait depuis longtemps la nature humaine. Se trouvant donc parmi ceux qui étaient abandonnés, puisque notre semblable à lui aussi part au sang et à la chair (Héb. 2, 14), il dit : «Pourquoi m'as-tu abandonné ?» ce qui évidemment efface l'abandon où nous nous trouvions. Il se concilie ainsi la faveur du Père, et invoque sur Lui-même la miséricorde qui nous était nécessaire. Le Christ est, en effet, devenu pour nous la source et le donateur de tout bien ; c'est pourquoi, bien qu'il soit dit de Lui qu'il a reçu en tant qu'homme quelque chose du Père, il l'a reçu pour notre nature, puisqu'en tant que Dieu il est comblé et n'a besoin de quoi que ce soit [21].
En souffrant comme homme, le Sauveur a, en son principe, renouvelé la nature humaine tout entière, par la force de l'union hypostatique et indivisible des deux natures. Grâce aux souffrances du Christ, nous sommes créés à nouveau, dit saint Grégoire le Théologien. Je ne dis pas que certains sont renouvelés et d'autres non, je dis que nous sommes tous renouvelés, nous qui avons participé au même Adam et qui avons été trompés par le serpent, nous qui avons été mis à mort par le péché et sauvés par l'Adam céleste, nous qui, par l'arbre de la honte (c'est-à-dire la Croix) avons retrouvé l'arbre de vie dont nous avions été déchus [22] ; en un mot : le Christ sauve par ses souffrances [23], car c'est par ses souffrances qu'Il a divinisé l'homme, unissant la forme céleste à la forme humaine [24]. C'est pourquoi saint Grégoire appelle le Nouveau Testament, la «Loi du Nouveau Testament», le «mystère de la Passion [25]».
[16] Contre les Ariens, 3, 56-57 ; PG 26, 440 BC, 441 ABC, 444 A ; cf. ibid., 58.
[17] Saint Athanase le Grand, Exposition sur le Psaume 21, 2 ; PG 27, 132 B.
[18] Id., Exposition sur le Ps. 68, 2 ; PG 27, 305 BC.
[19] Id., Lettre à Maxime le Philosophe, 4 (PG 26, 1080 B). Cf. Id., Exposition sur le Ps. 68, 15-18 (PG 27, 309 ABCD) : Sauve-moi de la boue, que je ne m'y enlise (Ps. 68, 15). C'est bien ainsi que s'est écrié le Seigneur Christ, en priant pour toute l'humanité ; c'est pourquoi il dit : ma gorge s'est enrouée (Ps. 68, 4). Le mot «enrouée» indique la ferveur de la prière. Que l'agitation des flots ne me submerge pas, que l'abîme ne m'engloutisse pas (Ps. 68, 16). Puisque la sentence est prononcée, ainsi que cette terrible malédiction selon laquelle : quand un ange du ciel nous annoncerait un autre Evangile ou nous enseignerait autre chose que ce que Paul nous a enseigné, qu'il soit anathème ! (Gal. 1, 8), quelqu'un peut-il donc surpasser Paul ou, pour mieux dire, le Christ qui lui parle ? Aussi est-ce bien le Christ qui s'attribue Lui-même une telle prière, et qui se rend un tel témoignage à Lui-même, lorsque l'Apôtre, dans l'Epître aux Hébreux, dit que dans les jours de sa chair -c'est-à-dire en montant sur la Croix- il a présenté avec de grands cris et avec larmes des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort -c'est-à-dire à son Père- et il a été exaucé à cause de sa piété, et il a appris, bien qu'il fût Fils de Dieu l'obéissance par les choses qu'il a souffertes (Héb. 5, 5-7). Ici, Paul, ou pour mieux dire, le Christ qui parle par lui, nous révèle ce que les Evangélistes ont tenu secret ou ont omis, en disant que c'est avec de grands cris et avec larmes qu'il a fait cette prière : Père, que ce calice passe loin de moi (Matt. 26, 39). Ce n'était pas une illusion, ce n'était pas dans l'intention de tromper Satan, ce n'était pas non plus en faisant sienne la volonté du monde, c'était en son nom propre, volontairement, à cause de l'économie du salut, bien qu'il fût réellement le Fils de Dieu, que le Christ a prié avec de grands cris et avec larmes, avec une sueur et des gouttes de sang, affermi par un ange et consolé par lui. Et alors qu'il était en agonie, dit l'Evangéliste, il priait plus instamment (Luc 22, 44) ; plus encore, il présenta deux fois, trois fois, sa prière au Père. Et puisque Paul, ou, pour mieux dire, le Christ qui parle par lui, attribue cette prière au Christ, quelqu'un peut-il contester le témoignage que le Christ Lui-même a porté sur Lui-même ? Ne détourne pas ta face de ton enfant (Ps. 68, 18). Puisque Dieu notre Père à cause de la transgression d'Adam s'est détourné de la nature humaine, le Christ prie Dieu qu'il tourne son visage vers elle».
[20] Homélie 30, 5, 6 ; PG 36, 109 ABC.
[21] Aux reines, de la foi droite, 2, 18 ; PG 76, 1357 AB.
[22] Homélie 33, 9 ; PG 36, 226 BC.
[23] Id., Homélie 37, 7 ; PG 36, 289 C.
[24] Id., Poèmes moraux, «Définitions moins exactes» ; PG 37, 959 A.
[25] Du Christ et de l'Antichrist, 4.
Une merveilleuse force salutaire coule, sur toute la race humaine, des souffrances du Dieu-Homme, qui était sans péché. Là s'accomplit indiciblement le mystère du salut de l'homme qui était tombé impuissant dans le péché. Le Verbe de Dieu, dit saint Hippolyte, est incorporel, mais il a assumé un corps saint de la sainte Vierge, comme un fiancé endosse un vêtement, qu'il s'était tissé Lui-même pour les souffrances de la Croix, afin qu'en unissant notre corps mortel avec sa puissance et en mélangeant le corruptible avec l'incorruptible, le faible au fort, il pût sauver l'homme déchu. Nous n'avons pas été capables, déclare Tertullien, de vaincre la mort autrement que par la Passion du Christ, et nous n'avons pas été capables de rétablir la vie en nous autrement que par la Résurrection du Christ (Du Baptême 11). Ressentant fortement la force toute -salutaire des souffrances divino-humaines du Sauveur, saint Jean Chrysostome enseigne : «Par ses souffrances, le Christ a vaincu la mort» (Sur 1 Tim. 4, 2 ; PG 92, 620).
Par sa Personne divino-humaine, le Seigneur Christ embrasse tout ce qui est humain, hormis le péché. C'est pourquoi ses souffrances aussi ont une puissance et une signification pour l'homme tout entier. Tout ce qui lui est arrivé se répercute dans toute la nature humaine en général. Devenu homme en assumant la forme d'esclave, dit saint Grégoire de Nysse, le Verbe dans sa majesté s'approprie les souffrances de l'esclave. En nous-mêmes, à cause des liens entre les membres du corps, si quelque chose arrive au bout d'un ongle, tout le corps ressent la douleur à cause de la partie atteinte, parce qu'une sensation commune étreint le corps tout entier ; de même, lorsque le Seigneur s'est uni à notre nature, il a fait siennes nos souffrances, comme le dit le prophète Isaïe : Il a pris nos infirmités et il s'est chargé de nos maladies (Matt. 8, 17) et il a été soumis aux blessures pour nous, afin que nous soyons guéris par sa blessure (Is. 53, 4-5). Ce n'est pas sa Divinité qui a souffert les blessures, c'est l'homme qui, grâce à cette union, s'est uni à la Divinité, car la nature humaine est accessible aux blessures. Or il s'est produit que le mal a été anéanti de la même manière qu'il est survenu : puisque la mort était entrée dans le monde par la désobéissance du premier homme, elle en a été chassée par l'obéissance du second homme. C'est pour ceci que le Seigneur est obéissant même jusqu'à la mort (Phil. 2, 8) : pour guérir par l'obéissance le péché de désobéissance, car la résurrection d'un homme de la mort est l'anéantissement de la mort (Contre Apollinaire (Antirrheticos), 21 ; PG 45, 1165 AB).
Dieu nous a créés pour l'incorruptibilité, mais lorsque nous avons transgressé son commandement salutaire, il nous a condamné à la souillure de la mort, afin que le mal ne devienne pas immortel ; mais comme il est très miséricordieux, descendant vers ses esclaves et devenu semblable à nous, par sa propre Passion il nous a délivrés de la corruption ; de son saint côté immaculé, il a fait couler une source de pardon : de l'eau pour le bain de notre nouvelle naissance, et du sang comme nourriture donnant la vie éternelle [26].
Chaque souffrance du Sauveur est une source intarissable de cette puissance divino-humaine qui nous sauve. De même que derrière chaque souffrance humaine se trouve le péché, de même, derrière chaque souffrance du Dieu-Homme se trouve le remède. Adam a été condamné à cause du péché, dit saint Cyrille de Jérusalem et Dieu a prononcé cette sentence : «Que la terre soit maudite en tes œuvres, elle fera pousser pour toi les épines et les ronces» (Gen. 3, 17-18) ; voilà pourquoi le Seigneur Christ reçoit des épines, afin de délier la sentence, voilà pourquoi il a été enseveli dans la terre, afin que la terre maudite, lieu de la malédiction, reçoive la bénédiction [27]. Par le péché, les hommes avaient transformé leur nature en épines, dit saint Grégoire de Nysse ; par l'économie de sa mort salutaire, le Seigneur Christ s'est fait une couronne pour Lui-même, transformant par sa Passion les épines en honneur et en gloire [28]. Il ne fait pas de doute, déclare saint Cyrille d'Alexandrie, que le monde tout entier est sauvé parce que l'Emmanuel est mort pour lui [29], car sa mort sanctifie tous et tout [30].
[26] Saint Jean Damascène, De la Foi, 4, 9 ; PG 94, 1120 BC, 1121 A.
[27] Catéch. 13, 18 ; PG 33, 793 C.
[28] De la forme parfaite du chrétien, PG 46, 280 BC.
[29] De la foi droite pour les reines, PG 76, 1297 B.
[30] Philothée, Sur l'Exaltation de la Croix 4 ; PG 154, 724 A.
La vérité sur les souffrances très salutaires du Christ constitue l'essence de la conscience priante et de la connaissance bénie de l'Eglise catholique. Le Seigneur est venu dans le monde pour souffrir pour nos péchés, pour nous délivrer de l'asservissement à l'ennemi de la race humaine -le diable [31]. Le Seigneur Christ est volontairement né dans la chair, et a pris en Lui toutes les souffrances pour sauver le monde. En supportant la souffrance le Seigneur Christ déverse d'une mystérieuse manière sur tous les hommes la puissance de l'incorruptibilité [32]. L'Ami de l'homme, le Seigneur, marche au supplice, comme un Agneau, il va recevoir des coups, des blessures, il est condamné à une mort honteuse. Lui qui est sans péché, il accepte tout cela afin de pouvoir accorder à tous la Résurrection des morts [33]. Les Juifs ont condamné à mort le Seigneur qui est la vie de tous. Ils l'ont fixé à la Croix, eux qui avaient traversé la mer Rouge par sa force. Ils Lui ont donné du fiel, eux qui avaient mangé du miel tiré de la pierre. Mais le Christ notre Dieu a tout volontairement souffert, afin de nous délivrer de notre asservissement au diable [34]. En souffrant tout, le Seigneur qui n'a commis aucun péché a tout sauvé [35]. Par sa Passion divino-humaine, le Sauveur nous délivre de nos passions, de l'amertume et de l'absurdité de nos passions, et nous élève dans ses hauteurs divines [36].
[31]. Jeudi saint aux Matines, aux Apostiches.
[32] Canon des Matines du Jeudi Saint, Ode 4 : «Pour tous ceux qui sont issus d'Adam, tu as été la source de non-passion (apathéia)».
[33] Ibid., stichères des Laudes, Gloire...maintenant... : «L'Agneau annoncé par Isaïe marche vers son immolation librement, il tend le cou aux blessures, ses joues aux soufflets, il ne détourne pas sa face de la honte des crachats, il est condamné à une mort ignominieuse. L'innocent accepte tout volontairement pour accorder à tous la résurrection des morts».
[34] Office des Saintes et salutaires Souffrances de Notre Seigneur Jésus Christ, à Tierce, tropaire.
[35] Ibid., Triode, Ode 9.
[36] Ibid., Que tout souffle..., stichère idiomèle : «Chaque membre de ta sainte chair souffre l'injure pour nous : ta tête, les épines ; ta face, les soufflets... Toi qui as souffert pour nous, et qui nous as libérés de nos passions, toi qui es descendu vers nous par amour de l'homme pour nous relever, Sauveur tout-puissant, aie pitié de nous».
Unie pour toujours par l'hypostase avec sa Divinité, la nature humaine de notre Seigneur le Christ nous a tous sauvés de la corruption par sa Passion et par sa sépulture [37]. Par ses souffrances divines, le Sauveur délivre l'homme des souffrances corruptibles [38]. Par ses souffrances, le Sauveur nous a accordé l'incorruptibilité, et délivrés de l'amertume et de la corruption des passions qui nous conduisent à la mort éternelle [39].
Dans la Passion du Dieu-Homme, nous avons un spectacle merveilleux : par sa Passion le Roi de l'éternité accomplit l'économie du salut [40]. Par sa Passion, le Seigneur Christ délivre tous les hommes des passions et de la corruptibilité [41]. Une force vivifiante rayonne de la Passion du Christ qui, d'une vie immortelle revivifie les hommes mis à mort par les péchés [42]. Dieu le Verbe, devenu homme, souffre en tant que mortel, et par sa Passion, il revêt l'homme de la beauté de l'immortalité [43].
Par les souffrances de son corps, le Seigneur Christ est devenu une force toute puissante, de résurrection pour les déchus et d'incorruptibilité pour les défunts [44]. Par ses souffrances, le Seigneur a accompli le salut de l'univers [45]. Cloué à la Croix, le Seigneur a cloué le péché des ancêtres ; frappé, il a donné la liberté à tous les hommes ; par ses souffrances, nous avons été délivrés d'innombrables passions [46]. En souffrant en son corps, le Seigneur qui n'a pas commis de péché a vivifié d'une mystérieuse manière les hommes mortels, il les a vivifiés d'une vie immortelle [47].
Par les souffrances de son corps vénérable, le Seigneur a sauvé les hommes, blessés par le péché, emprisonnés par la mort et étranglés par d'innombrables passions [48]. Par ses divines souffrances, le Seigneur, l'Ami de l'homme, a fait cesser les nôtres et nous a conduits vers la vie, une vie dans laquelle la souffrance n'est plus un cauchemar absurde, insensé, mais un remède salutaire [49]. Incarné dans la totalité de l'homme, le Seigneur a offert par sa Passion sur la Croix le salut à l'homme tout entier [50].
Le Christ notre Seigneur, par ses souffrances très pures, a délivré de la corruption l'homme tout entier qu'il avait assumé en s'unissant avec lui tout entier dans le sein de la sainte Vierge, mais sans prendre part à son péché [51]. En tant que médecin des hommes malades et défunts, le Seigneur a guéri par sa Passion sur la Croix la nature humaine, rendue malade par le péché et mise à mort par le mort [52]. C'est pourquoi l'Eglise lui crie avec joie : «Par ta Passion, ô Christ, nous sommes délivrés de nos souffrances [53] !» Et le Renvoi du Vendredi saint, où elle résume avec une divine inspiration ses innombrables sentiments sur la Passion salutaire du Christ, exprime clairement que le Seigneur a souffert tout cela «pour nous les hommes et pour notre salut».
[37] Samedi saint, Première stance, 3.
[38] Ibid., 49 : «Je vénère ta Passion, je célèbre ta sépulture, je magnifie ta puissance, ô Ami de l'homme, car par elles tu as délié les passions qui nous souillent».
[39] Ibid., 2ème stance, 73.
[40] Samedi saint, stichères des Laudes.
[41] Octoèque, ton 1, le mercredi matin, canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 3.
[42] Octoèque, ton 1, le vendredi matin, Cathisme de la Croix : «...Gloire, Seigneur, à ta Passion vivifiante, par laquelle tu nous as sauvés».
[43] Grand et saint Dimanche de Pâques, Canon des Matines, Ode 7, Hirmos.
[44] Octoèque, ton 2, Matines du dimanche, Canon de la Croix et de la Résurrection, Ode 1.
[45] Ibid., Canon de la Résurrection, Ode 4.
[46] Octoèque, ton 2, le vendredi matin, Canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 7.
[47] Octoèque, ton 3, le dimanche, aux Béatitudes.
[48] Octoèque, ton 3, le mercredi matin, Canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 1.
[49] Ibid., Ode 7.
[50] Octoèque, ton 4, le dimanche matin, Canon de la Résurrection, Ode 9 : «Tout entier tu m'assumes tout entier, en une union sans confusion, me donnant à moi tout entier, ô Dieu, le salut par ta Passion, que tu as soufferte corporellement sur la Croix, dans ton abondante miséricorde».
[51] Octoèque, ton 5, le dimanche matin, Canon de la Résurrection, Ode 9.
[52] Octoèque, ton 7, le vendredi matin, Canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 6.
[53] Octoèque, ton 1, le samedi aux Apostiches des Grandes Vêpres.
Dogmatique de saint Justin Popovitch, Tome 2, aux éditions L'Age d'Homme.